Présentation générale

Cette conférence scientifique a pour objectif d'offrir un espace de discussion sur l'usage de la photographie par les photographes et les chercheur·se·s pour rendre compte de réalités sociales auxquelles ils/elles ne participent pas, ce qui est souvent le cas lorsqu'il s'agit de l'Afrique.

Tout d'abord, elle offre un espace pour confronter, au travers de photographies de l'Afrique, la vision que les photographes ont de leur travail, et celles des chercheurs qu'ils/elles travaillent sur leurs propres milieux socioculturels ou sur des lieux plus éloignés.

Le deuxième objectif de ces journées est de rendre compte de la réception de ces photographies, que ce soit dans les lieux où elles ont été prises ou dans d'autres lieux (notamment dans les lieux d'origine de leurs photographes).

Ce rassemblement s'adresse aux universitaires, photographes et étudiant·e·s dans les domaines de la sociologie visuelle, de l'anthropologie visuelle, des études visuelles, du journalisme et des médias, et intéressé.e.s par les réalités de l'Afrique contemporaine.

Deux événements différents sont organisés auxquels vous pouvez participer en tant que chercheur·se ou photographe :

- JOUR 1 : Une journée d'études académique en DISTANCIEL où des chercheur·se·s utilisant des méthodes visuelles présenteront et discuteront leurs recherches en débat avec des photographes - et un public plus large - sur les thèmes de la conférence (notamment "Travail en images et images du travail" & "Espace en images") (18 mai 2021).

Cette conférence est organisée à distance, synchrone et asyncrhone. Les vidéos de présentation de chaque communication seront idsponible une semaine avant pour les participant.e.s. fin dque chaucn prenne el temps de les visionner en avant. La journée du 18 mai sera consacrée aux échanges avec les communicant.e.s. 

- JOUR 2 : Une table ronde réunira différentes parties prenantes pour un débat grand public à l'Alliance Ethio-Française d'Addis-Abeba (18 octobre 2021 - 17h30). Elle lancera l'exposition de photographies "African Workplaces".

Argumentaire

 

Les canons de la méthode ethnographique encourageaient les chercheur.se.s à observer un monde qui leur était au départ étranger. L’épreuve du terrain, ses difficultés et le malaise d’un chercheur.se qui n’y est pas à sa place ont longtemps été considérés comme autant de rites de passage nécessaires pour devenir chercheur.se (Barley, 1983). Ce fut le cas des anthropologues envoyé.e.s sur « des terrains exotiques » comme des sociologues encouragé.e.s à observer les classes populaires dont ils/elles étaient rarement issu.e.s (Cf : le travail photographique de Halbwachs, Topalov, 1997) . La littérature est abondante sur ces expériences qui fondent le savoir-faire du/de la chercheur.se, dans une enquête traversée par des relations de pouvoir (Mauger, 1991 ; Bourdieu, 1993 ; Clair, 2016) entre dominants et dominés (que les enquêtés soient dominés (par ex : Payet, Rostaing, Giuliani, 2010) ou dominants (cf. : Chamboredon et al., 1994).

Cette réflexion épistémologique a été renouvelée par les post-colonial studies qui invitent les chercheur.se.s du Sud et les voix « subalternes » à établir des paradigmes propres, se distanciant de l’héritage intellectuel occidental. Les post-colonial studies sont toutefois elles-mêmes le fruit du mouvement des hommes et des idées, de chercheur.se.s de l’entre-deux (Brisson, 2018). Sans occulter les rapports de dominations dans le champ scientifique comme dans l’enquête de terrain, nous posons l’hypothèse que la circulation des regards est au cœur de l’innovation scientifique.

 

Parce que les méthodes visuelles figent « l’aire du photographiable » du/de la photographe/chercheur.se, elles cristallisent les observations, et de ce fait rendent le contraste des points de vue plus saillants selon la position du photographe/chercheur.se. L’aire du phographiable se définit selon Bourdieu comme : « les modèles implicites qui se laissent saisir à travers la pratique photographique et son produit parce qu’ils déterminent objectivement ce qu’un groupe confère à l’acte photographique comme promotion ontologique d’un objet perçu en objet digne d’être photographié, c’est-à-dire fixé, conservé, communiqué, montré et admiré ». (Bourdieu, 1965, p. 24). Ces modèles sont le fruit de la socialisation des photographes, et du rapport qu’ils entretiennent à leur objet/modèle. Loin d’être statiques, ils sont alimentés par le parcours des individus et ses circulations. L’aire du photographiable reste néanmoins influencée par les représentations iconographiques héritées (Meyer, Gouilhers, Hummel, Kimber, Radu, Riom, 2019), la familiarité ou au contraire l’attrait pour l’exotisme et le spectaculaire, ancrées dans les espaces de socialisation du photographes/chercheur.se.

 

Ces journées d’études se proposent de confronter ainsi les regards et d’analyser les circulations entre différentes conceptions de l’aire du photographiable :

 

(1)   D’une part, selon que le regard est étranger ou au contraire familier, plus précisément quelles images les chercheurs et photographes du Nord véhiculent sur le Sud, quelles photos les chercheurs et photographes du Sud retiennent de leur propre pays ? Si la catégorisation Nord / Sud est heuristique, ces journées souhaitent également s’interroger sur les circulations, leurs effets sur le travail visuel de chercheur.se.s qui appartiendraient de fait à différents espaces.

 

(2)   D’autre part, la confrontation des aires du photographiable peut également être interrogée selon une typologie de regards : celui « profane » d’un public, celui également des modèles. Il s’agit ici de réfléchir à la question de la réception, mais aussi aux « malentendus » (Papinot, 2007), quand les clichés sont commentés en entretien (selon la méthode de la photo-stimulation (Collier, 1967, Harper, 2002), de la photographie participative ou lorsqu’ils sont exposés au public. Le regard peut également être celui des médias, par le pouvoir qu'ils ont de refuser ou d'accepter tel.le photographe, d'opter pour tel traitement d'un "sujet", et donc de définir autant le photographiable que le montrable. En tant qu’instance de légitimation, ils agissent comme un intermédiataire-clé entre les producteurs (photographes et chercheur.se.s) et les réceptions.

 

(3)   Enfin sur un plan plus méthodologique, nous invitons les communicant.e.s à rendre compte des collaborations, souvent interdisciplinaires, mobilisant des chercheur.se.s de différentes aires géographiques, ou faisant travailler ensemble photographe et chercheur.se en sciences sociales. Comment circulent et se croisent les différents regards (y compris disciplinaire) au sein d’un projet commun, dans le cadre du travail de la recherche ? Comment converge et se construisent les compromis dans les équipes, quel type d’image en ressort ?

 

Les communications attendues s’intégreront prioritairement dans deux thèmes qui seront traités sous un des trois angles décrits précédemment de la confrontation des regards en/sur l’Afrique :

 

  1. a.    Le travail en image

 

Si le travail fait l’objet depuis longtemps d’un traitement visuel que ce soit par les photographes ou les chercheur.se.s en sciences sociales (cf notamment : la revue Travail des images, images du travail, le festival du film du travail à Poitiers…), le travail en Afrique était passé au second plan de la réflexion depuis la fin des années 1990. « La précarité, le chômage et le hors-travail » deviennent des sujets récurrents, comme le souligne Jean Copans (2004) constatant l’amenuisement des recherches sur les travailleurs en Afrique. Or des études récentes participent à remettre sur le devant de la scène l’analyse du travail, sur des terrains variés comme les forestiers gabonais (Bourel, 2016), les ouvriers des serres horticoles kenyanes (Calas, Racaud, et al. 2017), la main d’œuvre dans les grandes plantations camerounaises (Vadot, 2014), ou le travail en Éthiopie (Numéro spécial de la revue Annales d’Éthiopie à paraître en 2020). Ce renouveau a aussi été rendu visible par l’organisation d’une école thématique en France sur les Afriques Ouvrières en mai 2019. Le regain d’intérêt pour le travail en Afrique s’accompagne progressivement d’approches photographiques.

Comment les chercheur.se.s rendent compte visuellement des évolutions du travail en Afrique ? Quel(s) regard(s) est porté par des observateur.trice.s occidentaux.ales, obnubilé.e.s par le débat sur la centralité du travail et l’évolution du rapport au travail (Méda, 1995 ; Rifkin, 1995), sur les emplois qui naissent des mouvements d’industrialisation propres au continent africain ? Quels images du travail les observateurs.trices africain.e.s, qu’ils/elles soient photographes ou chercheur.se.s privilégient-ils/elles ? Enfin, comment réagit « le public » à ces images du travail, qu’elles parlent de leur travail ou d’un ailleurs ?

 

  1. b.    L’espace en image

 

Les géographes, urbanistes, architectes ont un usage ancien des approches visuelles, sans doute en lien avec leur culture disciplinaire et la nécessité dans leur travail de rendre compte de l’espace (Meyer, Maresca, 2016). La première école de Chicago qui développa des enquêtes qualitatives en sociologie urbaine s’appuya également sur la photographie mais à titre illustratif (cf : Anderson, 1923 ; Thrasher, 1927). Les recherches utilisant explicitement la photographie comme mode de recueil ou de construction des données se sont développées récemment (Conord, Cuny, 2014), pour rendre compte notamment de l’évolution urbaine ou des traces de la mémoire, par exemple celle de l’immigration au travers des hôtels meublés en ville (Barrère, Levy-Vroelant, 2012). L’image a aussi été mobilisée dans le cadre de démarche de photo-stimulation pour mieux saisir le rapport subjectif à l’espace. La photographie est alors l’occasion d’échanger avec des enquêté.e.s sur ce qui fait sens pour eux/elles : que ce soit la notion de propre ou de sale en ville (Guinchard, Havard, Ogorzelec, 2012), ou leur perception de leur quartier (Schoepfer, 2014). Cette démarche de photo-stimulation privilégie l’échange au même titre que photographier dans la rue permet d’interagir avec les passants.

Quelles perceptions se confrontent alors ? Quels conflits sur l’aire du photographiable peuvent naître entre regard profanes et regards de l’observateur.trice ?

 

Bibliographie

 

Anderson N., 1923, The Hobo. The sociology of the Homeless Man. Chicago: University of Chicago Press, 1923

Barley N., 1983, [2000], The innocent Anthropologist, USA: Waveland Press.

Barrère C., Lévy-Vroelant C., 2012, Hôtels meublés à Paris, enquête sur une mémoire de l'immigration, Paris, Créaphis éditions.

Benoît L., Calas B., Racaud S., Ballesta O. et Drevet-Demettre L., « Roses d'Afrique, roses du monde », Géoconfluences, septembre 2017. http://geoconfluences.ens-lyon.fr/informations-scientifiques/dossiers-regionaux/afrique-dynamiques-regionales/corpus-documentaire/roses-afrique-mondialisation

Bourdieu P., 1993, « Comprendre », dans La Misère du monde, Paris, Seuil.

Bourdieu P., 1965, Un art moyen, Essai sur les usages sociaux de la photographie, Paris, Editions de Minuit.

Bourel É., 2016. L'éléphant et la glacière: Trajectoires et sociabilités de forestiers européens au Gabon. Cahiers d'études africaines, 221-222(1), 101-126.

Brisson T., 2018, Décentrer l’Occident. Les intellectuels postcoloniaux, chinois, indiens et arabes, et la critique de la modernité. Paris, La Découverte.

Chamboredon H., Pavis F., Surdez M. et Willemez L., 1994, « S'imposer aux imposants. A propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutants dans la pratique et l'usage de l'entretien », Genèses, n°16, p. 114-132.

Clair I., 2016, « La sexualité dans la relation d’enquête. Décryptage d’un tabou méthodologique », Revue française de sociologie, vol. 57, p. 45-70.

Collier J., Collier M., 1967, Visual Anthropology: Photography as a Research Method, Mexico, The University of New Mexico Press

Conord S., Cuny C., 2014, Towards a "Visual Turn" in Urban Studies? Photographic Approaches. France. Visual Ethnography, 3 (1).

Copans J., 2004.« Pourquoi travail et travailleurs africains ne sont plus à la mode en 2014 dans les sciences sociales. Retour sur l'actualité d’une problématique du XXème siècle. » Politique Africaine, n°133, p. 25-43.

Harper D. 1988, « Visual Sociology: Expanding Sociological Vision », The American Sociologist, 19, 1, pp. 54-70.

Harper D. 2002, « Talking About Pictures: A Case for Photo Elicitation », Visual Studies, 17, 1, Abingdon, Routledge/Taylor & Francis, pp. 13-26.

Maresca S., Meyer M. 2003, Précis de photographie à l'usage des sociologues, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Papinot C. 2007, Le « malentendu productif ». Réflexion sur la photographie comme support d'entretien, Ethnologie française 2007/1 (Vol. 37), p. 79-86.

Guinchard C., Havard J-F., Ogorzelec L., 2012, Concertation et coproduction de la propreté des rues. : Terrains comparés à Mulhouse et Besançon (France), Rufisque (Sénégal) et Mohammedia (Maroc). Rapport : ⟨halshs-00908517⟩

Mauger G., 1991, « Enquêter en milieu populaire », Genèses, n° 6, pp. 125-143.

Méda D., 1995, Le travail. Une valeur en voie de disparition ? Paris. Aubier

Meyer M., Gouilhers S., Hummel C., Kimber L. R., Radu I., Riom L., 2019, « Six sociologues sur un (beau) bateau. L’esthétique comme passager clandestin dans un corpus photographique », Revue française des méthodes visuelles [En ligne], 3 | 2019 : https://rfmv.fr

Payet J-P., Rostaing C., Giuliani F., 2010. La relation d’enquête. La sociologie au défi des acteurs faibles, Rennes, Presses universitaires de Rennes.

Rifkin J., 1995, The End of Work: The Decline of the Global Labor Force and the Dawn of the Post-Market Era, Putnam Publishing Group.

Schoepfer I. 2014, Capturing neighborhood images through photography, Visual Ethography, Vol 3, No 1. http://www.vejournal.org/index.php/vejournal/article/view/50/0

Thrasher F., 1927, The Gang: A Study of 1,313 Gangs in Chicago, Chicago, University of Chicago Press.

Topalov C. 1997.« Maurice Halbwachs, photographe des taudis parisiens (1908) ». Genèses, 28, pp. 128- 145

Vadot, G., 2014. Un travail de pros: Réforme de la Sodecoton et redéploiement des formes de mobilisation du travail paysan en zone cotonnière dans l'Extrême-Nord au Cameroun. Politique africaine, 133 (1), 45-67

 

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