Le calvaire de Goreth, la « nounou »
Pacifique Bukuru  1  
1 : Photographer

Du haut de ses 22 ans, Goreth qui vit chez sa grande sœur l'aide dans tout ce qui regarde les travaux ménagers. Partie de la province Gitega, au centre du Burundi, pour la capitale économique du Burundi, Bujumbura, la jeune fille espérait trouver mieux que le rôle de servante, du moins, chez « sa protectrice », sa sœur de sang.

L'aventure commence en 2014, lorsqu'elle arrête prématurément ses études, après le 6ème primaire, c'est-à-dire le 3ème cycle du fondamental, après 7 ans sur les bancs de l'école. Elle veut chercher un emploi, le petit commerce est son premier choix, mais les finances lui manqueront finalement. Sans aucune solution pour s'en sortir, sa famille est finalement son dernier recours, et sa grande sœur est la mieux placée pour l'appuyer. Celle-ci accepte, mais lui suggère de quitter la campagne pour la ville. Goreth est enthousiaste : c'est la meilleure proposition qui puisse exister pour elle ! Elle a enfin l'opportunité dont rêve tout jeune rural au Burundi : aller vers la ville, marcher sur les routes goudronnées, profiter du luxe de la ville. Pour elle, c'est la joie totale.

En débarquant vers « la ville paradis », Goreth est censée rester d'abord au domicile de sa sœur, histoire de se familiariser avec les comportements citadins, pour ensuite décrocher un travail digne de ce nom. Bien entendu, elle doit aider pour quelques travaux domestiques moins signifiants. A cette époque, elle n'a qu'une seule petite nièce dont elle doit s'occuper, et tout semble normal. Sauf quand les travaux commencent à se multiplier... Elle se lève alors à 6 h du matin pour préparer la bouillie de la petite, puis faire la lessive. A 8 h, c'est le moment de préparer le repas pour le déjeuner de la famille, puis faire la propreté de toute la maison. Au bout de deux semaines, Goreth, sous l'effet de la fatigue, interroge sa sœur sur son sort. Mais cette dernière lui rétorque au nez : « tu as arrêté l'école, c'est ce que tu mérites de mieux ».

Actuellement, Goreth ne sait plus à quel saint se vouer, d'autant plus qu'un deuxième enfant est venu agrandir le ménage de sa sœur. Elle travaille sans relâche, avec deux enfants à sa charge, et une montagne de travaux à faire dans une maison qui n'est pas la sienne. A la rigueur, tout cela aurait pu être supportable, mais pour couronner le tout elle est privée de tout salaire, car, selon sa sœur, l'hébergement, la nourriture, l'eau, l'électricité, etc. valent des sommes considérables.

Soucieuse pour son avenir, Goreth a néanmoins réussi à trouver une âme-sœur, un homme prêt à l'épouser. Mais à sa plus grande surprise, sa grande sœur a écarté au loin cette idée d'union, arguant que sa petite sœur ne pouvait être épousée par un simple chauffeur de « tuk tuk » (véhicule de transport urbain à trois roues). La jeune fille se voit désormais dans les pires conditions, sans projection possible dans l'avenir en dehors de sa condition domestique.

 

La vie de nounou que mène Goreth est en quelque sorte une forme d'exploitation dont souffrent bon nombre de jeunes filles qui quittent les bancs de l'école à mi-parcours au Burundi. En acceptant cette série de photographies avec moi, cette jeune femme a voulu pointer du doigt les conditions inhumaines dans lesquelles vivent certaines « nounous » des villes (abayaya en kirundi), des conditions éprouvantes qui ne sont malheureusement pas prises en compte par les autorités habilitées.

Etant journaliste-reporter d'images et de contenu journalistique, j'ai été interpellé par les conditions dans lesquelles vit la jeune Goreth, lorsque je l'ai croisée dans une famille qui l'avait un jour logée, alors que sa grande sœur l'avait mise dehors pour avoir dépassé l'heure d'être à la maison (à 18 h en soirée). C'est quand la bienfaitrice de ce jour-là (une tante) m'a raconté les malheureuses aventures de Goreth que j'ai décidé d'en faire une série de photos significatives et expressives, pour raconter en images ce que vivent la plupart des nounous dans la ville de Bujumbura. Ce témoignage coïncidait avec une formation que je venais de bénéficier sur le « story telling » par des clichés photographiques.

Certes, les histoires divergent selon les réalités individuelles. Mais avec Goreth, mon intention a été de redonner de la valeur à des personnes qui exercent de soi-disant « petits » métiers, pourtant essentiels, et de solliciter l'attention des observateurs sur la nécessité du respect de leur dignité et de leurs droits fondamentaux.

Vidéo de présentation : https://vimeo.com/551453646



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